
À l'image du développement durable, l'équité-diversité-inclusion (EDI) est aujourd’hui un mouvement sociétal majeur de notre histoire, aussi bien qu’une initiative incontournable pour le futur du monde du travail. Identifié comme solution principale pour résoudre les inégalités sociétales, ce mouvement implique un écosystème complexe composé d'entreprises, de gouvernements et de partenaires, tous-tes uni-e-s par un objectif commun : créer des milieux de travail inclusifs et respectueux où chacun-e peut s'épanouir.
Dans cette entrevue, Chloé Freslon, présidente et fondatrice de URelles, nous éclaire sur l'importance de ce mouvement pour favoriser la santé et le mieux-être de nos milieux. Elle évoque également la manière dont les entreprises québécoises peuvent intégrer ces valeurs pour renforcer leur culture organisationnelle.
Selon vous, pourquoi l’EDI est un sujet brûlant actuellement ?
L’équité-diversité-inclusion est pour moi bien plus qu’une tendance liée aux ressources humaines. Il s’agit d’un mouvement qui répond directement aux enjeux sociétaux persistants qui se manifestent aujourd’hui -on pense évidemment au meurtre de George Floyd, aux différentes vagues de #metoo, à l’importance de la santé mentale et toutes les dénonciations massives de sexisme, de racisme, de transphobie et autres des dernières années-, qui s’invitent dans les organisations. On constate que, malgré les efforts pour promouvoir l'égalité, certaines populations continuent de subir des injustices professionnelles telles qu’être sous-payées, sous-employées, vivre un nombre de discriminations supérieur à la moyenne, etc.
L’EDI n’est pas le dernier acronyme à la mode, à utiliser dans le contexte professionnel. Il s’agit plutôt d’un rassemblement et d’une officialisation de concepts présents depuis longtemps, dans la gestion de la main-d'œuvre et de l’entreprise, tels que le bien-être de celle-ci, la rétention des talents, la diversification des compétences pour conduire à plus d’innovation, l’engagement des employé-e-s et bien d’autres encore !
Cette convergence entre la pression sociale et la prise de conscience d’enjeux vécus a renforcé le mouvement d'équité-diversité-inclusion dans les organisations. Les employeurs cherchent maintenant des moyens concrets pour augmenter la diversité et l'inclusion, répondant ainsi aux attentes croissantes de la société.
Où en est le Québec à ce sujet ?
Je pense que le Québec est encore au début de son parcours en la matière. Comme je l’évoquais, bien que ce sujet soit devenu plus visible depuis 2020, il ne fait l'objet d'actions concrètes que depuis peu, avec un nombre plus important d’entreprises commençant à allouer des budgets à ces initiatives seulement depuis 2022.
Nous sommes donc dans les premières années de cette démarche, ce qui signifie qu'il y a encore beaucoup à apprendre et à expérimenter. Contrairement à des endroits comme l'Ontario ou les États-Unis, où la conversation autour de la diversité et l’inclusion est plus ancienne (sans doute parce que les vagues d’immigration vécues sont plus anciennes), et où des entreprises ont déjà plusieurs années d'expérience à partager, le Québec est encore en train de définir sa propre voie. Cette situation est similaire à ce que l'on observe en Europe, où les discussions sur ces sujets émergent également en réponse à des dynamiques de pouvoir et de diversité croissante.
À quels principaux enjeux les entreprises de la province doivent-elles faire face en la matière ?
Plusieurs enjeux semblent systématiquement émerger de nos analyses. Premièrement, il y a une sous-représentation marquée, voire une absence, de personnes en situation de handicap et de personnes autochtones dans les entreprises. Malgré le fait que ces groupes représentent une part significative de la population, ils sont souvent invisibles dans le milieu professionnel.
Ensuite, dans des entreprises qui font régulièrement appel à l’immigration, hors Canada ou hors Québec, et donc qui embauchent des individus qui ne maîtrisent pas encore le français, la gestion du bilinguisme français/anglais reste un défi quotidien. Favoriser un milieu inclusif lorsqu’on ne parle pas sa première langue est un bloquant pour tout le monde.
Enfin, il existe une résistance au sein de certaines organisations à l'importance de l’EDI. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un enjeu spécifique au Québec, il n’en demeure pas moins considérable. Beaucoup de personnes ne voient pas la nécessité de ces initiatives, se sentant elles-mêmes bien intégrées, ce qui conduit à une remise en question de la pertinence de ces démarches, surtout dans les milieux moins diversifiés.
Quels peuvent être les impacts d’une politique EDI en milieu de travail ?
Je pense qu'une politique EDI en milieu de travail peut avoir plusieurs impacts majeurs. Tout d'abord, sur le moyen et long terme, c’est une démarche structurante qui favorise un meilleur vivre-ensemble, et qui tient compte de la diversité croissante due, entre autres, aux vagues d'immigration et à l'évolution des normes de diversité sexuelle et de genre, particulièrement importantes pour la génération Z. Cela crée un environnement où les employé-e-s se sentent bien et sont heureux-ses de travailler, ce qui renforce leur engagement et leur contribution à l'entreprise.
Ensuite, il est crucial de se concentrer sur l'inclusion plutôt que la diversification de la main-d’œuvre à tout prix. Une culture inclusive permet naturellement d'attirer une diversité de personnes sans se limiter à des quotas ou à des objectifs superficiels. Cela évite les conséquences négatives d'une approche purement quantitative de la diversité, et favorise une intégration authentique et durable de tous-tes les employé-e-s.
Comment mesurer concrètement les effets des initiatives en la matière ?
Mesurer les effets de ces initiatives est un défi complexe. Souvent, on commence par mesurer la diversité en pourcentage de représentation de différents groupes. Cela donne une idée de la réussite ou des échecs de notre stratégie EDI, mais ce n'est pour moi qu'une partie de l'équation.
Il est également nécessaire de mesurer le sentiment d'inclusion à travers des sondages auprès des employé-e-s. Il faut comparer les sentiments d'inclusion des groupes majoritaires et minoritaires pour voir s'il y a des différences significatives. Bien que ces données puissent sembler subjectives, elles sont essentielles pour comprendre la culture d'inclusion.
De plus, il est important d'analyser les processus de recrutement pour identifier des schémas de discrimination, comme certains groupes qui ne sont jamais embauchés ou qui quittent rapidement l'entreprise. Enfin, bien que les effets financiers et les innovations puissent prendre des années à se manifester, ils sont aussi des indicateurs importants de l'impact positif des initiatives EDI.
Quelles sont vos perspectives en matière d’EDI dans les milieux de travail du Québec ?
Je pense que nous allons voir émerger une approche unique de l'équité-diversité-inclusion propre au Québec, différente de celle d'autres régions francophones ou du reste du Canada. Cette maturité en matière d'EDI dépendra probablement des gouvernements élus et de leur influence sur ces initiatives.
Bien que certains médias parlent de saturation ou de ras-le-bol à propos de l'EDI, je ne fais pas le même constat dans les entreprises. Les employeurs restent très intéressés à trouver des solutions pour créer des environnements de travail positifs et inclusifs. Les défis en matière d'EDI ne disparaîtront pas sans action concrète. Que ce soit par l'EDI ou une autre approche, il est essentiel d'agir pour améliorer la situation.
Cette entrevue est un contenu extrait de la 17e édition de notre magazine. Vous pouvez la consulter dans son intégralité en cliquant sur le lien suivant : Voici l'édition spéciale hors série du 17e numéro de notre magazine