
POUR RÉDIGER CET ARTICLE, NOUS AVONS BÉNÉFICIÉ DU SOUTIEN ET DU PARTAGE DE CONNAISSANCES DE LA CHERCHEUSE MAHÉE GILBERT-OUIMET, DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À RIMOUSKI (UQAR).
Imaginez un environnement professionnel où chaque employé-e aurait la liberté de prendre des décisions, d’utiliser et de développer ses compétences. L'autonomie décisionnelle est un élément clé de cet environnement, favorisant la motivation, l'innovation et le bien-être au travail. Dans cet article, nous explorerons ce facteur de risque psychosocial et son importance au sein des organisations, examinerons les causes de son faible niveau, et proposerons des pistes d’action pour la promouvoir.
Comme nous l’indique la définition de la CNESST, l’autonomie décisionnelle ou la latitude décisionnelle fait référence à « la possibilité pour un-e travailleur-euse de prendre des décisions au sujet de son travail. Elle encourage l’initiative, l’utilisation de la créativité et le développement des habiletés ». Un large corpus de recherches scientifiques démontre que la faible autonomie décisionnelle est associée à des effets négatifs sur le bien-être et la santé, tant psychologique que physique.
Il est à noter que ce facteur de risque psychosocial lié au travail peut être présent dans tous les milieux de travail. Bien qu’il ne figure pas dans les risques psychosociaux prioritaires selon la CNESST, l’employeur aurait intérêt à le mesurer et l’analyser. Si tel est le cas, il sera plus aisé de le détecter et de l’intégrer ensuite dans son programme de prévention.
Statistiques
Selon l’Enquête québécoise sur la santé de la population 2014-2015, trois travailleurs sur dix (31 %) présentent un niveau faible ou modéré d’autorité décisionnelle dans leur emploi. Toutefois, les femmes (34,8%) sont plus touchées que les hommes (26,8%).
Autonomie décisionnelle : de quoi parle-t-on?
Selon la CNESST, il existe 2 composantes de l’autonomie décisionnelle :
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La marge de manœuvre, c’est-à-dire :
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La capacité à organiser son propre travail ;
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La prise de décision ;
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Le choix des méthodes et de l’organisation de travail ;
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Le contrôle sur le rythme de travail ;
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L’autonomie dans la gestion de ses tâches.
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L’utilisation et le développement des compétences, qui inclut :
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La possibilité d’utiliser sa créativité ;
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La diversité des tâches à accomplir ;
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Les occasions d’apprentissage ;
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La possibilité de faire preuve d’initiative.
Pourquoi s'en soucier ?
Au-delà de son inclusion dans la modernisation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, l’autonomie décisionnelle représente un levier stratégique pour les milieux de travail, permettant notamment de contrebalancer les exigences du travail. Lui accorder une attention particulière ne relève pas seulement d’une obligation légale, mais d’un choix organisationnel porteur – tant pour le bien-être des individus que pour la saine performance des équipes.
Au niveau organisationnel :
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Elle renforce la fidélisation du personnel ;
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Elle améliore la performance globale de l’organisation en stimulant l’engagement et la productivité ;
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Elle favorise une culture organisationnelle positive, marquée par la confiance et la collaboration ;
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Elle contribue à réduire l’absentéisme, le présentéisme et le taux de roulement du personnel ;
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Elle encourage l’adaptabilité et l’innovation, permettant à l’organisation de mieux répondre aux changements.
Au niveau individuel :
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Elle accroît la motivation et l’engagement des employé-e-s, qui se sentent respecté-e-s et valorisé-e-s lorsqu’ils-elles peuvent influencer leur travail ;
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Elle améliore également la satisfaction au travail ;
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Elle favorise l’innovation et la créativité ;
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Elle optimise la performance individuelle.
En revanche, une faible autonomie décisionnelle peut entraîner des conséquences néfastes sur la culture organisationnelle et le santé psychologique et physique des employé-e-s. La combinaison d’une faible autonomie décisionnelle et d’une charge de travail élevée augmente encore plus le risque de développer des problèmes de santé. En effet, se sentir sous pression sans contrôle sur ses méthodes de travail et sans pouvoir ajuster sa charge de travail peut contribuer à une augmentation du stress, de la charge émotionnelle, de différentes atteintes à la santé psychologiques, du risque de maladies cardiovasculaires, et peut conduire à l’épuisement professionnel.
Quelles sont les causes principales d’une faible autonomie décisionnelle ?
De nombreux facteurs peuvent être à l’origine d’une faible autonomie décisionnelle, tels que :
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Demandes imprévisibles trop fréquentes : les employé-e-s n’ont pas le temps de préparer leurs tâches ou d’organiser leur travail efficacement ;
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Manque de planification du travail : les priorités sont floues ou changent constamment, ce qui empêche une gestion autonome ;
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Peu de marge de manœuvre pour adapter les objectifs et les méthodes de travail : les employé-e-s doivent suivre des procédures rigides sans pouvoir les ajuster selon les besoins ;
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Décisions sur les tâches quotidiennes prises sans la participation des employé-e-s : cela limite leur sentiment d’appartenance et de contrôle ;
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Prise d’initiative par l’employé-e limitée : la créativité est bridée, ce qui peut démoraliser le personnel ;
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Faible participation des membres du personnel avant, pendant et après un changement organisationnel important : cela crée un sentiment d’exclusion et de perte de contrôle ;
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Mesures de contrôle imposantes : des restrictions excessives peuvent provoquer un stress supplémentaire ;
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Ordres trop fréquents du gestionnaire, sans possibilité de discussion : les employé-e-s peuvent se sentir infantilisés et rarement écoutés ;
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Gestion des horaires de travail sans marge de manœuvre : l’absence de flexibilité complique l’équilibre travail/vie personnelle et familiale ;
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Utilisation d’un ton de voix autoritaire par le ou la gestionnaire : cela engendre un climat de travail tendu et peu propice à la collaboration.
Comment y faire face ?
Pour favoriser l’autonomie décisionnelle et en atténuer les obstacles, il est essentiel d’adopter des pratiques organisationnelles et qui y soient favorables. Voici quelques pistes concrètes à explorer :
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Offrir une flexibilité aux équipes : les gestionnaires ont grand intérêt à collaborer avec leur équipe pour fixer des délais réalistes, encourager le partage des responsabilités et permettre une organisation plus flexible des horaires. Introduire une rotation ou une variation dans les tâches difficiles peut également stimuler la motivation et prévenir les tâches trop répétitives ;
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Favoriser l’initiative et la créativité : il est essentiel de créer des occasions pour discuter des défis rencontrés et inciter les employé-e-s à proposer des solutions concernant l’organisation du travail ;
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Encourager le développement des compétences : la formation d’équipes pluridisciplinaires favorise la collaboration, tandis que l’acquisition de nouvelles compétences par des formations internes ou externes enrichit les employé-e-s. Leur application pratique peut être facilitée par une réorganisation des tâches ;
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Impliquer le personnel dans la communication et la prise de décision : impliquer les employé-e-s dans les processus décisionnels, particulièrement lors de changements organisationnels, renforce leur engagement. Les interroger sur leurs besoins, leurs préférences en matière d’autonomie et ce qui stimule leur productivité aide à mieux répondre à leurs attentes. De plus, les consulter avant de décider des horaires, des affectations ou des méthodes de travail est primordial.
En conclusion, vous l’aurez compris, l’autonomie décisionnelle est importante pour créer un environnement de travail positif qui favorise le bien-être des employé-e-s. En offrant aux employé-e-s plus de contrôle et la liberté de prendre des décisions et d'influencer leur travail, les organisations peuvent créer un environnement de travail plus motivant et innovant. Promouvoir l'autonomie décisionnelle est donc essentiel pour assurer l’engagement et la satisfaction des employé-e-s et le succès durable de l’organisation.
Pour en savoir plus, voici d'autres ressources que vous pouvez consulter en complément d'informations:
- Risques psychosociaux : quels sont les risques ciblés par la Loi modernisant le régime SST ?
- Risques psychosociaux : le harcèlement au travail
- Risques psychosociaux : la violence au travail
- Risques psychosociaux : la violence conjugale ou familiale au travail
- Risques psychosociaux : la violence à caractère sexuel au travail
- Risques psychosociaux : l’exposition à un événement potentiellement traumatique
- Risques psychosociaux : quels sont les risques « émergents » ?
- Information de base sur les RPS (Réseau de santé publique en santé au travail)
- Les risques psychosociaux, à vous de jouer! (INSPQ)
Sources :
- CNESST : Autonomie décisionnelle
- INSPQ : Fiche 2-E : Indicateur Autonomie décisionnelle
- INSPQ : Comment favoriser l’autonomie au travail ?
- Gilbert-Ouimet, M. (co-première auteure), Hervieux, V. (copremière auteure), Truchon, M., Bernard, G., Thibeault, J., et Lachapelle, É. (2024). Répertoire des pratiques organisationnelles pour réduire les risques psychosociaux du travail. Université du Québec à Rimouski, Université Laval