Le blogue santé
mieux-être au travail

Risques psychosociaux et trauma au travail : stratégies systémiques pour protéger la santé mentale

Risques psychosociaux et trauma au travail : stratégies systémiques pour protéger la santé mentale

CET ARTICLE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR MICHAËL ROUSSEAU, TRAVAILLEUR SOCIAL.

En tant qu’ancien policier devenu travailleur social œuvrant majoritairement auprès des métiers en uniforme, j’ai été confronté, directement et indirectement, à de nombreuses situations à potentiel traumatique : accidents, agressions, scènes de violence et j’en passe. Mes expériences de première ligne, ainsi que la littérature scientifique, éclairent ma compréhension des événements potentiellement traumatiques. Elles m’ont aussi permis de réaliser que la souffrance psychique n’est pas l’apanage des milieux d’urgence. Toute personne, dans tout secteur d’activité, peut vivre un événement bouleversant : suicide d’un-e collègue, restructuration radicale, agression verbale, climat toxique, etc.

L’objectif de ce texte est de mieux comprendre la nature des événements potentiellement traumatiques comme risques psychosociaux du travail, et surtout de proposer des leviers concrets pour les prévenir et les gérer, à partir d’une approche systémique, humaine et positive.

Comprendre les différents types de traumas

En clinique, nous distinguons différents types de traumas. Ils peuvent être classés en traumas avec un « grand T » et avec un « petit t ». Les traumas avec un « grand T » désignent des événements extrêmes comme des agressions ou des accidents graves, provoquant un bouleversement profond (voir symptomatologie du TSPT). À l’inverse, les traumatismes avec un « petit t » sont plus discrets, mais souvent répétés, comme le harcèlement ou le manque de reconnaissance au travail. À force de s’accumuler, ils peuvent sérieusement affecter le bien-être mental.

À cela s’ajoute le trauma moral, un concept distinct, caractérisé par une souffrance psychologique née de violations profondes des valeurs éthiques d’un individu. Contrairement au trouble de stress post-traumatique, il s’ancre dans la culpabilité, la honte et la détresse morale. Il survient, par exemple, lorsque des travailleurs-euses doivent poser des gestes contraires à leur conscience, comme refuser des soins ou procéder à des licenciements injustifiés (Litz et al., 2009).

Dans ce texte, nous nous concentrerons principalement sur les traumas avec un grand T.

Facteurs de risque et de protection

Faire face à un événement potentiellement traumatique ne mène pas nécessairement à un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Certains facteurs personnels et environnementaux influencent l’apparition de cette problématique : ce sont les facteurs de risque et les facteurs de protection.

Ces facteurs se répartissent en trois catégories (Brillon, 2013) :

  • Prétraumatiques ;
  • Péritraumatiques ;
  • Post-traumatiques.

Les organisations ont un pouvoir d’action particulièrement fort sur ces facteurs.

Facteurs prétraumatiques

Parmi les facteurs de vulnérabilité figurent : le sexe féminin, un faible statut socioéconomique, un niveau d’éducation limité, des antécédents de traumatismes ou de troubles psychiatriques. Même si ces éléments relèvent en partie de la sphère individuelle, les organisations peuvent jouer un rôle significatif dans leur atténuation (Bond et al., 2019).

Par exemple :

  • La mise en place de politiques claires de prévention du harcèlement, y compris du harcèlement sexuel.

  • Des campagnes de sensibilisation sur ces enjeux.

  • Des conditions de travail favorables : salaires décents, avantages sociaux, accès à la formation.

  • Un encadrement adéquat, un environnement sain, une cohésion sociale solide, une culture d’écoute et d’empathie.

Ces éléments contribuent au maintien d’un équilibre psychique, même face à des situations complexes.

Facteurs post-traumatiques

Parmi les leviers organisationnels :

  • Favoriser le sentiment d’efficacité personnelle,

  • Répondre aux besoins psychologiques fondamentaux (autonomie, appartenance, compétence), comme l’explique la théorie de l’autodétermination,

  • Réaliser un inventaire des forces individuelles, collectives et organisationnelles.

Une culture d’entreprise orientée vers le bien-être et des politiques de gestion favorables à la résilience sont essentielles. Une culture favorisant l’accès à des stratégies de gestion du stress, tant cognitives (ex. Programmes de pleine conscience en milieu de travail)  que comportementales (ex. prendre des pauses régulières), contribue également à prévenir l’apparition de facteurs de stress.

L’importance du soutien social

Le soutien social est l’un des plus puissants facteurs de protection. Il facilite le traitement émotionnel des événements traumatiques et favorise le rétablissement (Bond et al., 2019).

Une écoute empathique est déterminante (Dejours et Gernet, 2012), notamment lorsque les manifestations post-traumatiques sont déroutantes ou mal comprises. D’où l’importance de former les équipes à reconnaître les signes de détresse, à normaliser les réactions, et à cultiver une posture de compassion.

Prévenir la violence et gérer le trauma au travail

La violence en milieu de travail touche différemment chaque individu. D’où l’importance d’une prévention primaire fondée sur la formation et la sensibilisation.

  • Le programme Oméga forme à l’intervention en situation d’agressivité (Bond et al., 2019).

  • La grille PRISM aide à évaluer les facteurs de risque (Bond et al., 2019).

  • L’approche RIPOST propose des solutions durables (Bond et al., 2019).

Former les employé-e-s à des stratégies d’autoprotection et à la reconnaissance des signes de TSPT, tout en facilitant l’accès à une trajectoire de services spécialisés, est crucial.

La prévention secondaire : premiers soins psychologiques de type soutien et rôle du gestionnaire

Les premiers soins psychologiques en clinique se déroulent en deux temps :

  • Une phase immédiate (0 à 72 h)

  • Une phase post-immédiate (jours à semaines suivantes)

Leur but est de ramener rapidement un état de calme et d’intégration de l’événement.

Le rôle des gestionnaires est essentiel (Bond et al., 2019), même si celui-ci n’est pas à proprement dit un professionnel de la santé. Ils peuvent :

  • Observer les signes de détresse (évitement de situation et/ou de personne, hypervigilance, isolement, fatigue importante, baisse de productivité, idéations suicidaires, etc.) ;

  • Offrir une présence significative (souvent, de ne pas se savoir seul apporte un réconfort important) ;

  • Proposer différentes formes de soutien (être physiquement présent, donner son numéro de téléphone, etc.) ;

  • Réitérer l’offre d’aide en cas de refus initial ;

  • Ajuster temporairement les tâches ;

  • Alerter les RH ou la santé-sécurité ;

  • Accompagner les démarches de la personne concernée (ex : aide au référencement vers un PAE ou un professionnel de la santé).

La prévention tertiaire : prise en charge spécialisée et retour au travail

La prévention tertiaire repose sur une prise en charge thérapeutique, souvent par une thérapie cognitive-comportementale axée sur le trauma, avec un professionnel formé.

Lors du retour au travail, une certaine anxiété est normale. Le soutien de l’organisation et des collègues est déterminant.

Un climat de jugement ou des commentaires banalisants peuvent nuire fortement à la réintégration. Il est donc essentiel :

  • De mobiliser les acteurs concernés (RH, gestion, santé, professionnel de la santé, etc.),

  • De maintenir le lien avec la personne (avec son consentement) durant l’arrêt.

En conclusion, reconnaître et agir sur les traumas en milieu de travail exige bien plus que des réponses individuelles : cela nécessite une transformation des milieux, des pratiques et des cultures organisationnelles. En plaçant la sécurité psychologique, la reconnaissance et le soutien au cœur des actions, les organisations peuvent non seulement limiter les impacts des événements traumatiques, mais aussi renforcer la résilience collective. Prévenir, intervenir et accompagner, c’est avant tout réhumaniser nos façons de travailler ensemble. Et si, au lieu de demander comment les individus peuvent être plus résilients, on se demandait enfin : de quoi notre organisation a-t-elle besoin pour devenir un espace véritablement protecteur et réparateur ?
 

 


Sources :

- Bond, S., Belleville, G. v. et Guay, S. p. (2019). Les troubles liés aux événements traumatiques : guide des meilleures pratiques pour une clientèle complexe. Presses de l'Université Laval. 

- Brillon, P. (2013). Comment aider les victimes souffrant de stress post-traumatique : guide à l'intention des thérapies (5e édition). Les Éditions Québec-Livres, une société de Québecor Média. 

- Dejours, C. et Gernet, I. (2012). Travail, subjectivité et confiance. Nouvelle revue de psychosociologie, n° 13(1), 75-91. https://doi.org/10.3917/nrp.013.0075 

- Litz, B. T., Stein, N., Delaney, E., Lebowitz, L., Nash, W. P., Silva, C. et Maguen, S. (2009). Moral injury and moral repair in war veterans: A preliminary model and intervention strategy. Clinical Psychology Review, 29(8), 695-706. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.cpr.2009.07.003 

Retour à la liste des nouvelles